30/1/02

Les unes et les autres

En mémoire des six femmes assassinées durant les journées de décembre.

Elle était simplement une fille affamée. On ne peut lui décerner aucune de ces fausses et sensationnelles accusations dont raffolent la police et les médias. Dans son cas, le surnom de « vandale » était encore plus ridicule que pour les autres manifestants. Parce que Eloisa Paniagua était âgée de onze ans lorsqu'elle mourut. Enlaçant un sac de provisions, en sortant d'un supermarché pillé par des habitants du quartier tout aussi affamés qu'elle. Elle était la cadette de la suite des martyres que nous léguèrent les journées (19 et 20) de décembre.

Comme Eloisa, ce furent des centaines d'enfants, filles et garçons, qui accompagnèrent leurs mères tout au long de ces derniers mois dans les actions de blocage des routes et des ponts, avec les piquets qui réclamaient du travail et de la nourriture. Et ce sont d'autres milliers de femmes qui ravitaillèrent ces actions, qui organisèrent les soupes populaires, qui firent face aux attaques de la gendarmerie et de la police.

Beaucoup d'entre elles sont des cheffes de famille, terme utilisé par les statisticiens, et qui décrit en réalité des femmes ne disposant pas d'un travail, ni d'un revenu, ni même quelquefois d'un logement, conséquence des inondations ou d'une expulsion forcée. Ces femmes possèdent déjà depuis plusieurs années leur propre martyre: une femme de ménage, Teresa Rodriguez, assassinée par la police durant les journées du « Cutralcazo » pendant la période de Menem.

Durant ces journées de décembre, d'autres jeunes femmes moururent de la même manière. Atteintes à leur domicile par des balles perdues, en s'éloignant d'une émeute avec leurs enfants dans les bras, ou en attendant le ventre creux une mère qui ne viendra plus.

Et beaucoup parmi d'autres femmes, qui avions encore un logement et de quoi manger, nous avons pleuré durant ces jours terribles en voyant à la télévision comment le désespoir gagnait les quartiers les plus pauvres.

« 'J'ai passé ma journée devant la télévision, regardant des personnes désespérées par des problèmes de nourriture et qui se battaient entre elles, regardant les files d'attente des retraités. Lorsque j'ai entendu De la Rua [le président qui a démissioné sous la pression du peuple] qui parlait comme si rien ne se passait, j'ai entendu ma voisine qui frappait sur des casseroles, alors j'ai commencé moi aussi à le faire avec mes filles, et peu après, j'ai réalisé que j'étais à la tête d'une manifestation regroupant trois pâtés de maisons qui se dirigeait vers la Plaza. » Ainsi se confiait à un journaliste une habitante de San Telmo.

Ce sentiment d'impuissance que nous avons ressenti durant tous ces jours finit par éclater avec rage, alors se saisissant de toutes sortes d'ustensiles de cuisine, les femmes incitèrent leurs familles et leurs connaissances, à marcher vers la Plaza de Mayo [place symbole du pouvoir à Buenos Aires]

Les femmes des couches moyennes se transformèrent ainsi en acteurs d'une gigantesque mobilisation qui défiait l'état de siège, en convergeant depuis toutes sortes de quartiers populaires et de quartiers plus aisés. Femmes au foyer, étudiantes, salariées, employées, commerçantes, maîtresses d'école, professeures et chômeuses, vinrent pour huer Cavallo [ex-ministre de l'économie], De la Rua, et plus tard que Rodriguez Saa [président qui dut aussi partit] et Duhalde [actuel président]. Elles rejetaient les milieux de la banque, la corruption, la faim, l'impunité, le chômage, la misère, l'absence de perspective et le vol du présent.

Aujourd'hui, les femmes sont aussi présentes dans les assemblées des quartiers; nous nous organisées pour dénoncer les banques. Les avocates prennent la tête des manifestations contre la Cour Suprême, les jeunes adolescentes avec les mères des jeunes assassinées invectivent la police à Floresta, toutes nos continuons les concerts de casseroles'

En terminant d'écrire ces notes, je vois une femme de 70 ans, couchée sur le trottoir près de la Plaza de Mayo, montre à la caméra les blessures infligées par le tir des balles en caoutchouc lors de la dernière manifestation.

La police a toujours été assassine, nous savons que c'est de son côté que proviennent les violences, mais maintenant c'est plus clair que jamais. Pour cette femme âgée aussi, le surnom de « vandale » est parfaitement ridicule. Nous ne sommes plus dupes.

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